« Si les éducateurs et les hommes d’État se rendaient compte de la puissance des forces du bien, et du mal, qui cohabitent chez l’enfant, alors l’éducation – c’est-à-dire le soin pour le développement humain – serait considérée comme la question sociale la plus importante. »
Maria Montessori

Maria Montessori est connue sous toutes les latitudes pour la méthode éducative qu’elle a inventée, qui défia les conventions corsetées de son temps et est aujourd’hui adoptée dans plus de 60 000 écoles à travers le monde. Dans cette sélection, Simone Lanza réunit quelques lettres rares, publiques et privées, de l’extraordinaire savante qui a contribué à l’émancipation des femmes et à la formation de milliers d’enfants. Un témoignage lucide, inspirant, nécessaire.

Médecin et pédagogue italienne, Maria Montessori (1870-1952) a mis sa vie au service des enfants afin de leur proposer une méthode éducative ludique et stimulante, à l’écoute de leurs besoins. Basée sur l’autodiscipline, le respect du rythme de chacun et la confiance, la « méthode Montessori » fait chaque jour plus d’adeptes au sein d’une société misant sur la vitesse et la compétition.

Extrait • Lettre ouverte de Maria Montessori à Olga Ossani

Quelques mois après avoir rédigé un manifeste intitulé « Pour le vote politique des femmes », Montessori revient sur le sujet en publiant sur les pages du quotidien romain La Vita une lettre ouverte à la journaliste et écrivaine féministe Olga Ossani (1857-1933), qui était en outre son amie intime.

Rome, 21 octobre 1906

Très chère Olga.
[…] Lorsque tu discourus avec tant de grâce féminine et d’éloquence naturelle, quelqu’un hurla : « Messieurs, messieurs ! Nous luttons contre le vote des femmes, parce qu’elles s’expriment mieux que nous, et nous serions alors perdus ! »
Je pense qu’une puissante cause se cache derrière tout cela : les hommes redoutent l’immense force sociale qui est en marche : la femme !
Ce sont des petits garçons qui tremblent à l’idée de perdre leur poupée : ils ne réalisent pas que nous sommes à l’aube d’une élévation des âmes et des consciences, qui engage à renoncer aux jouets et à rechercher la compagnie des personnes vivantes. L’enfance de l’humanité, l’âge des grands préparatifs, est sur le point de s’achever. Tous les hommes se regardent en face, dans l’épanouissement d’une vie qui a atteint sa plénitude et son objectif : ils s’entraident dans leur travail commun tandis que les guenilles bariolées et les oripeaux des castes s’écroulent ; et la poupée s’échappe des mains de l’homme, animée d’un esprit neuf. Ne sommes-nous pas tous, dans le Verbe nouveau de la civilisation, des êtres humains libres, égaux, fraternels ? Et le glorieux mystère de l’égalité universelle, où la trinité est l’unité, exclut-il la femme ?
L’égalité des droits et des devoirs des êtres humains, quant à elle, est non seulement un absolu catégorique, mais elle ne peut être que cela : elle ne peut demeurer au stade d’idée.
Cette vérité, mon amie, fusait, limpide et claire, dans nos conversations l’autre soir, et le député Barzilai en convint, disant : « Il ne subsiste aucun argument sérieux contre le vote des femmes ! » Des arguments, non... mais des moyens de pression, des arguties, des montagnes de préjugés auxquels nombre s’agrippent désespérément, invoquant l’obscurité, l’immobilité sociale, tandis que la lumière du progrès et sa course vertigineuse éblouissent et nous emportent. Car la pensée et la justice ne sont pas contre nous ; la pensée et la justice sont l’esprit et le cœur des grands mouvements sociaux. […]
Oui, mon amie : il est bon de penser que les adversaires qui opposent des réponses négatives à nos demandes de vote ne sont que de grands morts ou de petits vivants.
Et toutes les conquêtes modernes, mon amie, devraient donc être reniées pour opprimer la moitié du genre humain qui génère la vie, est garante d’amour et de douceur, tout en produisant un travail noble et utile, au seul motif que ceux qui en ont la capacité intellectuelle n’ont pas su accueillir toutes ces avancées de l’esprit moderne dans leur vaste pensée ; et parce que ceux qui demeurent ne savent faire place dans leur petit cerveau fossilisé à des idées nouvelles ?
Non ? Alors la bataille est gagnée ! […]

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