« N’étant pas très manuelle, j’utiliserai ma tête comme un bélier et je tracerai mon chemin dans ce monde sens dessus dessous. »
Louisa May Alcott

La saga des filles du docteur March a façonné l’imaginaire de générations de jeunes lectrices, mais la vie de son autrice est quant à elle restée dans l’ombre. Militantisme féministe et abolitionniste, prédilection pour les romans puissants, rapport ardu à la célébrité et remise en cause de l’institution du mariage : les lettres de Louisa May Alcott – inédites en français – racontent la parabole rocambolesque d’une écrivaine qui sut se frayer un chemin dans un monde d’hommes.

Louisa May Alcott (1832-1888) fut l’une des premières autrices américaines à succès, dont les écrits – poésie, théâtre, romans, nouvelles policières – permirent à sa famille de sortir de la pauvreté. Femme forte et indépendante, elle dépeint dans ses récits des héroïnes à son image, enclines à enfreindre les conventions sociales du XIXe siècle. Son engagement durant la guerre de Sécession, sa lutte pour les droits des minorités et sa soif d’émancipation en font un modèle d’inspiration.

Extrait • Lettre de Louisa May Alcott à Maria S. Porter

Maria S. Porter, poète féministe et abolitionniste, a été une amie intime d’Alcott pendant plus de vingt ans et lui a dédié un livre passionné de souvenirs personnels. Peu de temps avant que Louisa lui écrive la lettre reproduite ci-dessous, Maria S. Porter avait été élue parmi les membres du conseil scolaire de Melrose, une ville du comté de Middlesex.

[1874]

Quelle formidable nouvelle ! J’espère que la première chose que madame Sewall et toi proposerez au prochain conseil scolaire sera la réduction du salaire du directeur et l’augmentation de celui de son assistante, qui travaille aussi bien et autant que lui, voire plus – de sorte que les salaires soient égaux. Je crois fermement qu’à travail égal, il faut un salaire égal. Ne penses-tu pas ? À l’avenir, il serait bon que les femmes puissent faire ce qu’elles veulent et que les hommes cessent de leur mettre des bâtons dans les roues. Et surtout que la partie se joue à armes égales, c’est une simple question de justice, je dirais. J’en ai assez d’entendre parler de la « sphère féminine » de la part de nos législateurs avertis (?) assis sous la coupole de l’assemblée de l’État, ou des prédicateurs du clergé à leur pupitre. Je suis fatiguée d’entendre, année après année, leurs inepties sur les chênes robustes et les fleurs des champs, les hommes chevaleresques et leur devoir de protéger les femmes. Laissons la femme libre de découvrir ses propres limites. Et si, comme ces messieurs l’affirment, la nature lui a attribué une sphère qui lui est propre, elle s’y adaptera en conséquence. Mais au nom du ciel, donnons-lui une chance ! Ne lui refusons pas certaines professions, laissons-la accéder à l’université pendant cinquante ans, et nous verrons ce qu’il en est. Alors, et alors seulement, nous serons en mesure de dire ce qu’une femme peut ou ne peut pas faire, et les générations futures pourront comprendre et définir en quoi consiste cette « sphère féminine », bien mieux que les mâles rétrogrades d’aujourd’hui ne tentent de le faire.

L.M. Alcott

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