« Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire. »
Guillaume Apollinaire

Une symphonie de baisers, de grenades, d’adieux : l’histoire d’un grand amour brûlé par le désir. On entend dans les lettres du poète français le plus révolutionnaire du vingtième siècle à sa Lou les douces harmonies des sentiments, les dissonances stridentes des incompréhensions, une mélodie charmeuse et charnelle. Une splendide correspondance amoureuse avec en fond sonore les bruits métalliques de plus en plus menaçants de la Grande Guerre.

Né à Rome, d’origine polonaise, naturalisé français peu avant sa mort, Guillaume Apollinaire (1880-1918) fut l’un des piliers de la modernité poétique, qui inventa les termes « surréalisme » et « calligramme ». Alors qu’il était mobilisé sur le front, cet artiste protéiforme, orfèvre de la poésie, écrivit à Louise de Coligny – femme libre de ses gestes et désirs – des lettres incandescentes, témoignant de son appétit de vivre et d’aimer ainsi que de la puissance évocatrice de son écriture.

Extrait • Lettre de Guillaume Apollinaire à Louise de Coligny

Quand il écrit cette lettre, Apollinaire vient juste de passer sa permission de fin d’année auprès de Lou, qu’il racontera à Jean Mollet en ces termes : « J’ai été en permission deux jours à Nice. Parti de Nîmes à 5 h. du matin arrivé à Nice à midi. L’adorée à la gare, déjeuner, pieu jusqu’au lendemain 10 heures […] ». Dans les premières lignes de ce billet, il lui confie également avoir rencontré dans le train du retour une jeune femme « assez intelligente et […] honnête » : il s’agit de Madeleine Pagès, celle qui, dès l’été suivant, deviendra officiellement sa fiancée.

[Tarascon, le] 2 janvier [19]15

Mon Lou adoré, une fois ta silhouette très aimée disparue dans le brouillard qui embrumait ce matin la gare de Nice, je me suis mis à lire Le Cri de Paris. Il y avait avec moi dans le wagon un monsieur et une jeune fille. À Cannes la conversation s’est engagée, le Monsieur habite Draguignan et s’appelle Portal, il a été en classe avec mon frère. La jeune fille est professeur de lettres au Lycée de jeunes filles d’Oran, assez intelligente d’ailleurs et je crois honnête. […] Mon Lou tu m’as donné deux jours merveilleux de permission et deux nuits de folie. Je suis encore dans l’enivrement. J’en suis quasi hébété. Mon train pour Nîmes est à 5 h.17. En attendant, je pense à toi, je pense que je t’aime, mille fois plus encore qu’à Nîmes, où je t’aimais déjà beaucoup plus qu’avant. Songe à tes promesses et que tu m’appartiens. Bonjour à Mémée. Soigne ton petit estomac. Je t’embrasse mille fois partout et aussi sur les parties fouettées qui s’agitaient si charnellement ces nuits dernières. […] Là-dessus, je te répète, mon Lou, que je t’adore, que rien n’est plus beau pour moi que ton corps, ton regard, ton sourire. Que je veux que tu m’aimes encore plus que tu ne fais. Tu dois m’aimer de tout l’amour que tu as pour moi en y ajoutant le total des amours passés. Ainsi fais-je moi-même pour toi et si je t’adore, mon Lou, j’ajoute à cette adoration tout ce que j’ai pu éprouver pour d’autres femmes, car tu es pour moi tous les amours, mon Lou, et je dois te rapporter tous les battements de mon cœur, ceux même d’avant que nous nous connaissions. Mille baisers.

Gui.

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