
Oscar Wilde
Icône excentrique et dandy par excellence, Oscar Wilde vécut une existence à la fois fabuleuse et tragique. Dans les lettres à ses amis, adversaires et à la presse, on retrouve les plaisanteries fulgurantes et les piquantes saillies qui ont rendu légendaires ses conversations et ses œuvres. De scandales en triomphes, des salons aristocratiques à une misérable geôle, nous suivons le parcours d’un écrivain qui, avec la beauté d’un funambule, édifia le mythe d’une vie sans pareille.
Écrivain, dramaturge et poète, Oscar Wilde (1854-1900) est l’une des figures les plus explosives et controversées du milieu littéraire et mondain de la seconde moitié du XIXe siècle. Son allure anticonformiste, ses mots d’esprit et sa plume élégante ont façonné son personnage d’esthète raffiné et provocateur. Au fil de sa tumultueuse existence, l’auteur du Portrait de Dorian Gray se fit le défenseur d’un art sans entraves, libéré des chaînes de la moralité.
La première version du roman Le Portrait de Dorian Gray paraît sur la revue littéraire Lippincott’s Monthly Magazine en juillet 1890. Le succès et le scandale sont immédiats. Une librairie de Londres vend 80 exemplaires du périodique en une seule journée, tandis qu’elle n’en écoule habituellement que trois par semaine. Pas moins de deux cents recensions sont publiées. Aux dires de nombre de lecteurs, Wilde a enfin composé une œuvre à la hauteur de sa notoriété, mais pour beaucoup d’autres, le livre est un texte « morbide », « malsain » et « dangereux », dont la charge homoérotique ne passe pas inaperçue. Comme à son habitude, Wilde ne recule pas et réplique point par point aux critiques provoquées par l’ouvrage. Dans une série de lettres au Scots Observer, dirigé par Henley, il profite de l’occasion pour réitérer, avec les armes de la polémique, sa vision esthétique et « amorale » de l’art et du monde.
Monsieur,
Je crains de ne pouvoir entrer dans un quelconque débat sur l’art avec Mr Whibley dans votre journal, d’une part car il me coûte toujours d’écrire des lettres, d’autre part car je suis au regret de dire que j’ignore la nature des qualifications de Mr Whibley pour discuter d’un sujet d’une telle importance. […]
Vous pourriez me demander, monsieur, pourquoi il m’importe que la beauté éthique de mon roman soit reconnue. Et je vous répondrais : tout simplement parce qu’elle existe, qu’elle est indiscutablement présente. Le principal mérite de Madame Bovary n’est pas la morale qu’on peut y lire, pas plus que le principal mérite de Salammbô n’est son archéologie ; mais Flaubert eut parfaitement raison de dénoncer l’ignorance de ceux qui jugèrent la première immorale et la seconde inappropriée. Et non seulement eut-il raison dans le sens commun du mot, mais il eut raison du point de vue artistique, ce qui est l’essentiel. Le critique doit éduquer le public ; l’artiste doit éduquer le critique. Permettez-moi d’ajouter une autre correction, monsieur, et j’en aurai fini avec Mr Whibley. Il termine sa lettre en arguant que j’ai inlassablement vanté les mérites de mon œuvre auprès du public. Je ne doute pas que, disant cela, il veuille me faire un compliment, mais il surestime réellement ma capacité de travail, tout comme mon inclination pour celui-ci. Je dois confesser en toute franchise que, par nature et par choix, je suis extrêmement paresseux. L’oisiveté cultivée me semble être la juste occupation de l’homme. Je déteste les querelles journalistiques de tous ordres, et sur les deux cent seize critiques de Dorian Gray qui sont passées de ma table de travail à la corbeille à papier, je n’ai répondu qu’à trois. […] J’ai bien peur qu’écrire pour les journaux ait une influence dévastatrice sur le style. […]
Je reste, monsieur, votre dévoué serviteur,