
Mary Shelley
Par son intensité et les personnages inoubliables qui l’ont peuplée, la vie de Mary Shelley fut un véritable roman, que l’on suit chapitre par chapitre à travers ses lettres. La créatrice de Frankenstein est saisie ici dans le tourbillon des glorieuses années du Romantisme : elle se passionne, souffre, ne cesse de revendiquer sa liberté. Shelley dépeint son formidable cénacle d’amis – parmi lesquels Lord Byron – qui jugeait la beauté du monde indissociable de ses vérités.
Fille d’une philosophe féministe et d’un écrivain libertaire, la romancière Mary Shelley (1797-1851) donna naissance au monstre le plus célèbre de la littérature alors qu’elle avait seulement 19 ans. Ses lettres retracent le parcours de sa vie d’étude et de voyage : l’amour clandestin avec le poète Percy Bysshe Shelley et leur fuite à travers l’Europe, la tragédie de la perte des êtres chers, la fin d’une jeunesse qu’on croyait éternelle et enfin le retour en Angleterre, où elle se dédie entièrement à l’écriture.
Géniale, séduisante, jeune et célèbre, la veuve Shelley reçut moult demandes en mariage. Trelawny, son ami de jeunesse, dont le soutien fut inestimable lors de la disparition tragique de Percy B. Shelley, fut l’un de ses prétendants les plus respectueux, mais aussi obstiné. Dans cette lettre, l’écrivaine lui réitère toute son amitié, le consolant avec une douce et inflexible sagesse. Elle reste fidèle à une véritable métaphysique de la jeunesse et au culte de l’intensité de la vie.
Mon cher Trelawny, [...] Heureux ? Mais hélas, qui, de cœur noble et généreux peut l’être ? Ce n’est pas seulement, mon bon ami, que ta volonté est immense et tes moyens restreints – serais-tu plus riche, tu serais encore tourmenté par l’ingratitude, le caprice et l’inconstance. Malgré tout, je dis Amen à ton anathème contre la pauvreté, qui est au-delà de toute mesure une source de tracas et de désespérance. Je suis pauvre, après avoir été riche autrefois : je vis parmi les nécessiteux et ne vois qu’indigence autour de moi. Il se trouve, et tel fut toujours mon destin, que j’ai noué des amitiés intimes avec des êtres à la belle âme, généreux, et n’accordant aucune valeur à l’argent, sinon pour ce qu’il peut apporter de bon – et tous sont plus pauvres que moi encore, n’est-ce pas insupportable ? Mais pour en revenir à toi, si cher à mon cœur, toi qui de tous les êtres est le plus altruiste, je suis très malheureuse de te savoir en extrême difficulté : ne te préoccupe ni de l’âge ni du manque, aucun des deux ne te regarde en vérité. Il serait miraculeux que tu vives vieux, cela peut sembler un étrange compliment, mais toi et moi avons dans nos âmes trop de cette grandeur d’esprit pour désirer vivre jusqu’à ce que la flamme tremble et faiblisse; concentre-toi seulement sur les quelques années présentes. [...] Reviens, mon cher ami ; je relis tes phrases mélancoliques et je te répète : « reviens ! » Essayons de tirer de ce malheur quelque chose de bon : si je ne parviens pas à projeter un rayon de soleil sur ton chemin, je saurai au moins te guider de mon mieux à travers la pénombre. Crois bien que tout ce qui te concerne m’importe, et que je n’oublierai jamais tout ce que je te dois. [...] Pareils sentiments ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils doivent avoir vécu des années, fleuri dans les sourires et conservé leur fraîcheur sous la rosée des larmes. Pour les éprouver, il faut avoir navigué ensemble longtemps sur l’océan de la vie, avoir affronté les mêmes périls et avoir connu les mêmes peurs et peines – tel est notre lot. Tandis que je pense à toi, mon cher ami, ces sentiments sincères et profonds me font venir les larmes aux yeux. Nous nous reverrons bientôt. Adieu,
M.S.