
Voltaire
Ses idées enflammèrent les mentalités d’une moitié de l’Europe tandis que ses mots d’esprit amusèrent l’autre moitié : Voltaire, plus que tout autre, contribua à affirmer les notions de rationalisme et de tolérance telles que nous les connaissons. Dans la guerre des idées, le verbe fut son arme. Une encyclopédie de pensée épistolaire dont la lucidité et l’audace intellectuelle ne cessent de nous stupéfier.
Avec ses 15 000 lettres recensées, la correspondance de Voltaire (1694-1778) est un véritable monument de la république des lettres, et une œuvre en soi au sein de la foisonnante production littéraire et philosophique de celui qui a incarné l’esprit des Lumières. Ce grand penseur à la personnalité complexe, fervent défenseur de l’esprit contre l’obscurantisme, s’entretient dans sa correspondance avec les monarques et penseurs de son temps dans un style versatile, sérieux et divertissant.
Voltaire et d’Alembert (1717-1783) n’eurent que de rares occasions de se rencontrer, mais ils étaient unis par une profonde estime mutuelle, par de grandes batailles intellectuelles ainsi que par une vaste et riche correspondance. Après avoir lu ses Réflexions sur la cause générale des vents, Voltaire écrivit le 13 décembre 1746 au brillant penseur : « Nous étudierons votre livre, nous vous applaudirons, nous vous entendrons même. Il n’y a point de maison où vous soyez plus estimé. » Comme en témoigne la lettre suivante, leur correspondance regorge de passages mémorables.
Mon cher philosophe, votre lettre m’a pénétré le cœur. Je vous aime assez pour vous apprendre des secrets que je ne devrais dire à personne, et je compte assez sur votre probité, sur votre amitié, pour être sûr que vous garderez le silence que je romps avec vous. Je ne vous parle point de l’intérêt que vous avez à vous taire ; tout intérêt est chez vous subordonné à la vertu.
La plupart des lettres sont ouvertes à la poste ; les vôtres l’ont été depuis longtemps. Il y a quelques mois que vous m’écrivîtes : « Que dites-vous des ministres, vos protecteurs, ou plutôt vos protégés ? » et l’article n’était pas à leur louange. Un ministre m’écrivit quinze jours après : « Je ne suis pas honteux d’être votre protégé, mais, etc. » ; ce ministre paraissait très irrité. […] Voilà donc où vous en êtes. C’est à vous à tout peser ; voyez si vous voulez vous transplanter à votre âge, et s’il faut que Platon aille chez Denys, ou que Platon reste en Grèce. Votre cœur et votre raison sont pour la Grèce. Vous examinerez si, en restant dans Athènes, vous devez rechercher la bienveillance des Périclès. Je suis persuadé que le ministre, qui n’a rien répondu sur votre pension, ne garde ce silence que parce qu’un autre ministre lui a parlé. […]
Je sais bien que vous ne ferez jamais de démarche qui répugne à la hauteur de votre âme, mais il vous faut votre pension. Voulez-vous me faire votre agent, quoique je ne sois pas sur les lieux ? […] Je ne ferai rien assurément sans avoir vos instructions, que vous pourrez me faire parvenir en toute sûreté par la voie dont vous vous êtes déjà servi.
On crie contre les philosophes, on a raison ; car si l’opinion est la reine du monde, les philosophes gouvernent cette reine. Vous ne sauriez croire combien leur empire s’étend. Votre Destruction a fait beaucoup de bien. Bonsoir ; je suis las d’écrire ; je ne le serai jamais de vous lire et de vous aimer.